La France doit construire un écosystème des technologies quantiques

Quatre expert(e)s de l’innovation technologique et de son financement – dont Christophe Jurczak et Jean-Christophe Gougeon – appellent, dans une tribune au quotidien « Le Monde », les entreprises françaises à ne pas passer à côté du quantique, prochaine révolution dans le domaine de l’informatique et des communications.


Nous sommes à l’aube d’une révolution technologique. Issue des découvertes de la physique quantique, la possibilité de manipuler des particules élémentaires (électrons, ions, atomes, photons) ouvre la voie à des ruptures dans des domaines tels que l’informatique, les communications, la métrologie ou la cybersécurité. Le cabinet de conseil en stratégie BCG a identifié une trentaine de cas d’usage, et une création de valeur comprise entre 25 et 50 milliards d’euros à horizon 2030.

Les géants du numérique, Google et IBM en tête, mettent au point des prototypes de calculateurs quantiques de plus en plus puissants. Cette course aux technologies quantiques mobilise aussi les gouvernements, à commencer par ceux de la Chine et des Etats-Unis. Le Royaume-Uni et l’Allemagne ont initié une stratégie nationale il y a déjà plusieurs années.

Et la France ? L’année 2020 a débuté par la remise du rapport de la députée Paula Forteza (Français de l’étranger, ex-LRM), et aurait dû s’achever par l’annonce d’un plan stratégique (« Quantique : le virage technologique que la France ne ratera pas »). La crise sanitaire a retardé son lancement, désormais attendu pour les premiers mois de 2021. Il y a pourtant urgence, car sans un engagement fort et rapide de l’Etat pour affirmer ses ambitions académiques, industrielles et économiques, la France ne pourra pas rattraper son retard.
[Note: cette tribune a été rédigée avant la publication de la stratégie national quantique le 21/01/2021, mais publiée quelques jours après]

Exception

Au-delà de ce plan, notre pays doit absolument construire un écosystème des technologies quantiques. Nous en possédons déjà plusieurs briques indispensables. Une recherche de très haut niveau, tout d’abord, autour de trois pôles situés à Paris, Saclay et Grenoble. Un portefeuille de start-up de grande qualité, ensuite, comme Pasqal, Qubit Pharmaceuticals, Alice& Bob, C12, Quandela, Cryptonext ou VeriQloud.

Des structures d’investissement, enfin, qu’elles soient publiques, avec le plan Deeptech de Bpifrance, ou privées, avec Quantonation, pionnier dans le financement en amorçage de ces technologies. Cet écosystème naissant commence à se structurer, notamment autour du think tank Le Lab quantique, créé en 2018 pour associer start-up, industriels, PME et ETI. La région Ile-de-France soutient à travers lui une approche originale, le « Pack quantique », pour développer les cas d’usage.

Mais le tableau est encore incomplet. Un point doit concentrer toutes les attentions : la plupart de nos grandes entreprises n’ont pas pris conscience de cette révolution. Une poignée de groupes industriels de premier plan ont commencé à se mobiliser, à l’image d’Atos, Thales, Orange, Air Liquide ou Airbus, mais ils demeurent l’exception quand ils devraient être la règle.

Finance, santé, automobile

Car toute entreprise utilisatrice de calcul intensif ou de données massives va devoir développer ses compétences dans le quantique. Les concurrents internationaux se positionnent déjà. Dans la finance, JPMorgan Chase a recruté un spécialiste des algorithmes quantiques venu d’IBM, et Goldman Sachs a créé un laboratoire dirigé par un pionnier des ordinateurs quantiques. Dans la santé, Merck ou Bayer collaborent avec des universitaires et des start-up. Dans l’automobile, BMW ou Volkswagen testent des algorithmes quantiques sur des cas concrets, comme l’optimisation des robots industriels.

Les grands groupes français doivent joindre ce mouvement sans plus tarder. Certes, dans un contexte de budgets contraints par la crise due au coronavirus, l’horizon de 2030, évoqué pour disposer d’un large éventail d’applications, peut sembler lointain. Mais c’est dès à présent qu’il faut travailler sur des cas d’usage, afin de bénéficier rapidement d’un avantage quantique pour certains types de calcul, probablement dès 2023-2025.

L’Etat doit encourager les différents acteurs à collaborer sur des projets qui auront un impact fort, dans la lignée du plan de relance. En se rapprochant des chercheurs, des start-up et des experts, en créant des équipes pluridisciplinaires dédiées à l’exploration des technologies quantiques, les entreprises doivent dès à présent développer leurs compétences, dans un domaine stratégique pour leur compétitivité et pour l’ensemble de notre économie.


Les signataires : Jean-François Bobier, directeur de Boston Consulting Group Paris ; Jean- Christophe Gougeon, responsable sectoriel Logiciel, intelligence artificielle et quantum computing à Bpifrance ; Christophe Jurczak, associé fondateur du fonds Quantonation et président de l’association Le Lab quantique ; Elvira Shishenina, présidente de l’association QuantX.